A
l’occasion de leur venue à Paris pour la soirée Halloween
organisée par Sanctuary à la Locomotive (29 octobre 1997), accompagnés
par FAITH AND THE MUSE en formation acoustique, les membres de DAS ICH ont accepté
de répondre à quelques questions avant leur concert.

L’occasion
pour nous d’en savoir plus sur l’un des groupes les plus novateurs
de la scène dark allemande, mais aussi d’avoir des informations
sur leur tant attendu sixième album.

Vous
avez deux activités : le label (DANSE MACABRE) et le groupe DAS
ICH, j’aimerais savoir si le groupe est pour vous le plus important des
deux ?

Bruno
Kramm : Il faut que je corrige tout de suite, le label n’existe plus
sous cette forme, et ce depuis presque deux ans, personne ne s’en est
rendu compte. Ca nous demandait simplement trop de travail, et ce au détriment
de DAS ICH. Nous avons remarqué que nous avions à peine du temps
pour faire de la musique, et c’est pour cela qu’il se passait énormément
de temps entre les albums ; il y avait également d’autres
raisons, la suivante c’est que à côté, mon activité
principale est de produire des groupes en studio, et je n’avais plus le
temps de le faire, alors que c’est ce que j’aimais le plus ;
la troisième raison est que certains groupes se sont comportés
de façon étrange après que nous les ayons fait connaître,
c’est-à-dire qu’ils se sont comportés de façon
déloyale ; et puis, nous n’avions tout simplement plus envie
de le faire.

Le
label existe toujours et nous l’utilisons toujours, comme pour la bande
originale que nous avons faite (ndlr : « DAS INNERE ICH »),
donc pour des choses qui intéressent nos fans ; mais il ne sort
presque plus rien sur DANSE MACABRE.

Je
reviens à ma question : est-ce que DAS ICH est devenu si important
pour vous au point que vous ne pourriez plus vivre sans ?

Bruno :
DAS ICH existera de toute façon encore longtemps ; cela remplit
une grande partie de notre vie, nous passons relativement beaucoup de temps
en studio pour chaque album, nous faisons des tournées-promo , des
concerts dans le monde entier. En ce sens, c’est devenu une grande part
de notre vie, sinon nous ne serions pas aux quatre coins du monde. En ce qui
concerne la tournée aux U.S.A., ce sera la troisième au mois de
mai (1998). On vit plein de choses que l’on ne vivait pas dans la vie
normale, c’est pourquoi c’est devenu une partie très importante
de notre vie, mais il y a aussi une autre partie, la vie privée, qui
se déroule de façon relativement normale, même si l’on
peut penser que les membres d’un groupe comme le nôtre doivent être
très extrêmes, mais notre vie est cependant normale. Si jamais
DAS ICH n’existait plus, je travaillerais de toute façon en tant
que producteur.

Vous
avez enregistré avec ATROCITY, THEATRE OF TRAGEDY…, est-ce que vous
travaillerez avec d’autres groupes ?

Bruno :
Nous travaillons beaucoup avec d’autres groupes car je leur fais la rythmique,
et comme je travaille en tant que producteur en studio j’ai aussi de nombreux
contacts avec d’autres groupes. Le travail avec ATROCITY était
unique, ça a été une expérience intéressante
pour nous de travailler avec des guitares, ce que nous ne faisons pas d’habitude,
c’était intéressant, c’était quelque chose
de différent, mais ça en restera là.

Nous
sommes curieux en ce qui concerne votre prochain album. Peux-tu me dire à
quoi il ressemblera ?

Bruno :
Tu entendras 75% du prochain album ce soir durant le concert. Nous avons fait
dernièrement des albums assez lents, « STAUB »
était très lent, la bande originale était également
très lente, c’est pourquoi il était important pour nous
de faire un album très dansant, comme les morceaux Kain und Abel, ou
bien Lugen und das ich, qui étaient très dansants. Les morceaux
de cet album ont été écrits pour être de véritables
chansons ; c’était très intéressant de faire
un album qui soit d’une part très dansant et d’autre part
orienté sur les chansons, nous avons pu en tirer le maximum. Nous sommes
tous assez contents du nouvel album, il dégage beaucoup d’énergie,
il est beaucoup plus dansant, mais il n’est en aucun cas monotone car
on a essayé de reprendre toutes les facettes de DAS ICH, les éléments
d’orchestre classique… En fait, on a essayé de faire un album
qui reprenne quasiment tout ce que l’on avait fait jusqu’à maintenant.

Donc
musicalement cela ne sera pas trop différent ?

Bruno :
Ce sera la surprise ! C’est un peu différent, du moins nous
le pensons. Ca serait mauvais si ça ne l’était pas car je
trouve cela ennuyeux de se répéter, il y a quelques groupes en
Allemagne qui ne font que ça. Pour nous, ce qui est important c’est
que chaque album soit différent d’une certaine manière,
ce que nous avons réussi je crois entre « DIE PROPHETEN »
et « STAUB » et également entre « STAUB »
et « DAS INNERE ICH » et maintenant nous avons encore
fait un album complètement différent, mais comme je le disais
ce sera une surprise (…).

Peux-tu
nous parler de la bande originale ?

Bruno :
« DAS INNERE ICH » ? C’était un travail
pour un ami qui était à l’école avec nous et qui
est maintenant régisseur et qui a fait beaucoup de vidéo-clips,
des SPICE GIRLS par exemple, il a fait des travaux « capitalistes »
et a fait ensuite son premier film underground, et nous avons composé
la musique pour lui ; c’est un film très atmosphérique,
c’est pourquoi la B.O. est un collage de sons de musique ambiante.

Est-ce
important pour vous qu’il y ait plusieurs aspects : la musique, le
jeu de scène, les textes et maintenant les images du film… ?

Bruno :
Ces aspects sont importants, sinon ce n’est pas la peine de faire de la
scène. Si tu ne proposes pas sur scène une performance qui soit
également visuelle, alors ce n’est pas la peine de faire des concerts,
et cela on l’oublie facilement car il y a tant de groupes qui ne présentent
rien sur scène, mais je crois que de nos jours c’est une nécessité.
Soit les groupes utilisent des installations scéniques et des jeux de
lumière très chers pour compenser leur mauvais jeu de scène
ou alors ils font des performances géniales. Regarde des groupes comme
PRODIGY, tu peux les écouter chez toi, et en concert ça ne perd
rien de sa force. C’est cela qui est important pour nous, à savoir
qu’il se passe aussi quelque chose sur scène.

Je
disais justement que vous utilisiez toujours plus de moyens. Tu aurais pourtant
la possibilité simplement de sortir un livre avec les textes. Est-ce
que cela te satisferais ?

Qu’est-ce
qui te pousse à monter sur scène ?

Stefan
Ackermann : Pourquoi j’en ai besoin… ? (perplexe…)

Oui,
qu’est-ce qui t’influence ?

Est-ce
quelque chose qui te pousse à le faire, qui viendrait de l’intérieur ?
(Stefan demande à Bruno de répondre à sa place…).

Bruno :
La scène en soi est déjà quelque chose d’important,
sinon comme je le disais, on n’aurait pas besoin de donner des concerts.
Je crois que Stefan a besoin de réussir à faire passer sur scène
l’énergie qu’on a essayé de canaliser sur nos disques
et Stefan se laisse complètement entraîner par la musique et il
essaie alors de la transposer en énergie. C’est bien sur difficile
de répondre à la question : pourquoi montes-tu sur scène.
Tu le fais en premier parce que les gens veulent voir un concert de toi, c’est
aussi une certaine obligation. Ce qui nous plaît le plus c’est de
créer de nouveaux morceaux, en concert tu répètes toujours
les mêmes choses, c’est pourquoi le processus de création
nous intéresse le plus. Je ne veux pas dire que nous n’aimons pas
être sur scène, c’est très bien de voir comment le
public réagit directement à tes morceaux, mais c’est aussi
une obligation que tu as de donner des concerts, et comme je le disais c’est
quelque chose d’extraordinaire chez nous comme chez des groupes tels que
PRODIGY, NINE INCH NAILS ou MARILYN MANSON, chez qui ce qui se passe sur scène
est extraordinaire. La plupart des groupes ne donnent rien en concert et ont
l’air de s’ennuyer pendant leur set ; ça revient au
même d’écouter leur disque. Ce qui est important pour nous
comme pour les groupes que j’ai cité, c’est que l’énergie
de la musique soit aussi représentée de façon visuelle.
Ca devrait être une condition essentielle pour tous les groupes qui font
des concerts, sinon ce n’est pas la peine.

Avez
vous remarqué de grandes différences de réaction de la
part du public suivant les pays ?

Bruno :
En Allemagne il y a trop de concerts, donc les gens s’ennuient pendant
les concerts, alors qu’en France où il y en a rarement de ce style,
les gens sont euphoriques et sont contents de faire la fête parce que
ça n’arrive peut-être qu’une fois par an. Aux U.S.A.
on a l’avantage d’être exotiques parce qu’on est allemands
et qu’on fait une musique différente de celle qu’ils font
là-bas, nous avons donc un assez grand succès. Tu ne peux mesurer
ton succès qu’à la manière dont les gens réagissent
suivant les pays. Il y a aussi des différences de mentalités,
on le remarque déjà en Allemagne entre le nord et le sud. Les
allemands du sud dont très extravertis, ils dansent et considèrent
ça comme une fête, alors qu’au nord il arrive souvent que
les gens restent là à regarder et à se poudrer le nez,
et ensuite tu te demandes ce qui s’est passé et quand tu poses
la question aux gens, ils ont trouvé ça très bien ;
c’est une question de mentalité.

Vous
avez dit dans une interview que vous étiez des individualistes…

Bruno :
C’est quelque chose de global, en fait chacun devrait essayer d’être
individualiste, c’est ce que nous faisons, mais c’est quelque chose
de général, on est tous individualistes, toi aussi, sinon tu ne
ferais pas quatre heures de route de Brest à Paris…

Oui,
mais je pensais au fait que les gens qui se disent individualistes ne se préoccupent
pas des autres et font ce qu’ils veulent…

Bruno :
Bien sur, quand on fait de la musique ce qui nous importe c’est qu’on
se réalise, et il y a certainement un côté individualiste
qui nous pousse, mais quand tu es musicien et que tu as la possibilité
de t’exprimer par la musique, alors tu t’adaptes quelquefois mieux
à la réalité, mais tu t’en sors beaucoup plus facilement
dans certaines situations que des gens qui n’ont pas d’exutoire
comme la musique et qui ne peuvent donc jamais vraiment se réaliser,
et comme nous, nous pouvons le faire par la musique, nous sommes sûrement
des individualistes, simplement par ce que nous faisons musicalement, mais je
crois que tout musicien se considère comme individualiste, c’est
donc en général que nous le disions dans l’interview que
tu as lu.

Vous
disiez également que vous aviez peur de la scène allemande qui
devient de plus en plus militarisée…

Bruno :
De plus en plus uniformisée, oui, ça se rapporte au fait que cette
scène, comment est-ce qu’on l’appelle …wave-gothique tend
de plus en plus à s’uniformiser et se rapporte de plus en plus
uniquement à la mode et au look au lieu de s’intéresser
aux contenus. Quand cette scène a démarré dans les années
80, quand c’était une scène punk-wave, il y avait des tas
de revendications politiques, c’était la révolution, tout
était imprégné de politique et de révolution, et
si maintenant tu regardes la scène gothique, qui vient de la scène
new-wave et punk, il y a affreusement peu de conscience politique. Il ne s’agit
plus que de savoir qui va trouver les vêtements gothiques les plus beaux
et qui est le mieux maquillé, et ils changent de plus en plus, finalement,
ils vont dans des magasins goths où ils achètent des vêtements
gothiques tout faits ; autrefois, au temps de la scène punk et new-wave,
les gens faisaient eux-mêmes leurs vêtements, ils étaient
tous différents, chacun avait son propre style, chacun était individualiste.
Aujourd’hui tu fais partie d’une scène où il y a beaucoup
de jeunes simplement parce que tu as besoin d’un scène, parce que
tu n’as pas encore exprimé clairement ton individualité,
et c’est pour ça que tu tombes dans la conformité. C’est
dommage car ça passe d’un extrême à l’autre,
en ce sens tu as raison.

Puisqu’on
parle de politique, j’aimerais savoir comment vous considérez la
situation actuelle en Allemagne ?

Bruno :
Et en Europe !… J’ai eu justement une discussion très intéressante
ce midi avec le dirigeant de notre label (EDEL) sur ce que l’Euro va apporter
au sens où il y aura la monnaie unique. – En dehors des histoires financières,
peut-être que l’on s’embrouillera avec l’argent, ça
n’a pas d’importance -, ça ne fera de mal à personne,
sûrement pas. Ce qui est génial, c’est pour la génération
à venir, pour nos enfants, peut-être, chacun pourra dire non pas
« je suis allemand » ou « je suis français »,
mais « je suis européen », du fait qu’il
y aura une monnaie unique et que les frontières n’existeront plus
sous la forme actuelle, et c’est une grande et belle pensée, car
l’Europe a toujours été engagée, l’Europe a
toujours été influencée sur le plan culturel, et ça
serait dommage si cela disparaissait à cause du nationalisme, c’est
une question politique que je trouve salutaire, en dehors des questions financières,
c’est un fait que l’un ou l’autre pays verra sa monnaie dévaluée.
C’est pour ça que les allemands sont contre la monnaie unique (…)
Personnellement, ça ne me gêne pas trop car je crois que nous sommes
tous européens et que nous avons les mêmes racines culturelles,
c’est de cela qu’il s’agit, nous devons entretenir cela afin
qu’il naisse quelque chose de nouveau.

En
ce qui concerne l’Allemagne et la réunification, vous avez fait
la connaissance d’allemands de l’Est…

Bruno :
Oui, notre claviériste vient de l’ancienne R.D.A., mais il s’est
enfui avant que la frontière ne soit ouverte. Ce qui est dommage c’est
que avec Kohl – cette espèce de truc informe – ça a été
beaucoup trop vite, parce qu’il voulait être représenté
dans les livres d’histoire comme le chancelier de la réunification,
ce qui a mené à des choses que les gens ne voulaient pas… C’est
vraiment dommage de trouver une telle haine de l’Ouest chez les allemands
de l’Est issus de certaines couches sociales, et inversement, c’est
vraiment accablant, surtout par rapport à ce dont on vient de parler :
l’Europe. On parle d’une Europe unie et on a déjà
des problèmes dans son propre pays. Ca s’est passé trop
vite, sans que l’on ait eu la possibilité de prendre une décision,
c’était comme une ivresse, ils étaient tous enivrés
par l’idée que l’Allemagne allait redevenir unie. Dans les
médias aussi ça a été tellement stylisé et
fêté que tout le monde s’est dit « c’est
génial », il faut absolument que ça se fasse, et on
a montré des photos de gens près du mur qui se réjouissaient
de la première banane qu’on leur mettait dans la main !

Daniel :
Oh je, je, je … (oh la la…)

Bruno :
C’était une mauvaise blague… ; mais finalement la réalité
est complètement différente, il y a un grand fossé. J’ai
lu dernièrement dans le magazine Der Spiegel un article intéressant
sur la langue, la langue est toujours en quelque sorte le reflet d’une
société. En R.D.A., il y avait beaucoup de mots qui n’existaient
pas en R.F.A. et qui étaient utilisés normalement dans les institutions
et qui ont été éliminés et remplacés par
des mots de R.F.A., c’est dommage pour leur identité, il y a beaucoup
de gens qui ont grandi là-bas dans cette société, ils ont
été déracinés, on leur a pris en partie leur identité,
bien sûr ça semble peut-être exagéré car c’était
un régime communiste, et le modèle communiste n’a pas fonctionné,
c’était un système totalitaire, mais ce n’est pas
une bonne chose la façon dont on a greffé le système capitaliste.
Ce qui est drôle c’est que beaucoup de gens ont d’abord pensé
qu’ils allaient avoir la liberté de voyager, ils ont pensé
au concept de liberté, mais la liberté n’a rien à
voir avec ça, car en fin de compte ces gens ne peuvent acheter aujourd‘hui
la liberté qu’avec de l’argent et n’ont en ce sens
même pas la liberté d’entreprendre des voyages. Il faudrait
en discuter plus longtemps car je crois que même si cette réunification
s’est faite si vite, elle ne sera pas terminée de sitôt.

avec
l’aimable autorisation de la radio Fréquence mutine (BREST).


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