Formé à l’aube des années quatre-vingts dans le nord de l’Allemagne, X MAL DEUTSCHLAND est l’un des groupes fer de lance de la jeune scène post-punk allemande. La mouvance qui se développe alors est une réaction contre les ectoplasmes mous issus des années soixante-dix : rock progressif, krautrock, space rock… ; toutes ces tendances qui avaient permis pendant dix longues années une suprématie allemande avec des groupes aussi divers que CAN, TANGERINE DREAM, POPOL VUH, CLUSTER, NEU, FAUST…

Outre cette répulsion épidermique à l’encontre des dinosaures planants, cette nouvelle scène développe une musique moins immédiate et éphémère que le punk dont elle est pourtant issue. En effet, EINSTURZENDE NEUBAUTEN (aussi signés sur ZICKZACK RECORDS) ou X MAL DEUTSCHLAND ne proposent pas seulement de faire table rase du passé de façon nihiliste, mais offrent une nouvelle forme d’expression : construire en détruisant pour EINSTURZENDE NEUBAUTEN, créer une forme poétique -écorchée vive- pour X MAL DEUTSCHLAND. Si les deux groupes vont suivre des directions totalement différentes : industrielle pour l’un, plus ou moins gothique pour l’autre ; leurs exigences de départ marqueront durablement une rupture dans l’histoire de la musique allemande.

Zu yung zu alt (1980-1982)


La sauvagerie sonore et vocale, les cavalcades tribales ou martiales de la batcave naissante sont les premiers échos de la musique gothique. En Angleterre, PLAY DEAD, UK DECAY, THEATRE OF HATE, VIRGIN PRUNES et KILLING JOKE sont une réponse vitale et barbare à la normalisation électro-pop qui s’opère (DEPECHE MODE, FAD GADGET, O.M.D….) en haut des charts indies. En signant X MAL DEUTSCHLAND, Ivo apporte à l’Angleterre un collectif farouche qui va rapidement devenir un élément de cette rébellion musicale.

Sous le sceau de 4ad (1983-1984)

Virtuellement l’album existe déjà, les titres sont prêts, mais 4AD préfère lancer le groupe avec un maxi-ep afin de créer une dynamique autour des obscurs allemands. « QUAL » sort donc début 1983, le titre est une version remixée par le duo infernal Ivo/John Fryer d’un morceau du futur album. La maestria dont font preuve les deux compères rend le titre explosif, tout en lui enlevant une part de sa violence abrasive ; les deux titres de la face B sont quant à eux dans la droite lignée de la période allemande du groupe : concis et incisifs. A noter la superbe pochette de Vaughan Oliver qui met en valeur quelques outils de dissection et de chirurgie, à l’image du son du groupe manipulé par 4AD. « FETISCH » sort peu de temps après, il contient tout ce qui fait la force du groupe depuis ses débuts : l’agressivité, la vitalité convulsive des rythmes, un chant unique entre aboiement lyrique et envolées sanglantes. Aucun répit dans cet album, seule une tentative expérimentale Danthem vient tempérer le rythme au profit d’une tension triturante non moins implacable. Quinze ans plus tard, « FETISCH » reste l’incarnation vinylique la plus pure de X MAL DEUTSCHLAND. Le disque marque hélas la fin de la collaboration avec Manuela Zwingman (batterie), un changement qui se révélera important dans l’orientation musicale du groupe dès 1984. Le succès critique et public de X MAL DEUTSCHLAND permet à 4AD d’envisager la réédition de « INCUBUS SUCCUBUS » (titre « culte » dans les soirées batcave), en fait Ivo et John Fryer vont en profiter pour remixer le morceaux en deux versions (7’’ et 12’’) qui vont rapidement éclipser l’original. La face B, Vito, plus anecdotique est une vague expérimentation qui manque de concision. « INCUBUS SUCCUBUS II » est aussi le premier pas de X MAL DEUTSCHLAND vers la métamorphose ; le son y est plus clair, brillant et explosif, les guitares moins abrasives. Ce changement n’a pourtant rien d’inquiétant car il entraîne le groupe vers des terres moins défrichées et tout aussi artistiquement exigeantes.

« TOCSIN », le deuxième album paraît en 1984, enveloppé dans une superbe et glaciale pochette bleutée représentant des ailes (d’anges ?). Musicalement, les morceaux sont dans la lignée des précédents, mais au niveau de la production sonore et de l’utilisation des instruments, beaucoup de choses ont changé. Ainsi, Peter Bellendir le nouveau batteur impose un jeu moins tribal, privilégiant un aspect martial brillant et métallique. Le clavier est à la fois plus présent et moins lugubre, il soutient les envolées lyriques éthérées de l’album. Le chant quant à lui est moins haché, fluide et céleste il se pare des pâleurs de la mélancolie. Au romantisme noir et sanglant des débuts, succèdent des atmosphères de givre aux reflets nacrés. Aérien, lumineux et glacé, « TOCSIN » fait écho aux paysages pétrifiés par l’hiver, aux aurores livides où délaissés par les créatures nocturnes, les lieux paraissent n’avoir jamais été habités.

Viva el matador ! (1985-1987)

Conscient du potentiel du groupe, Ivo (mentor du label 4AD) a le malheur de leur annoncer qu’ils sont libres, s’ils le désirent, de choisir une structure plus importante, 4AD ne pouvant les soutenir davantage sur le plan promotionnel. Malentendus, crises, critiques se succèdent donnant lieu au départ de X MAL DEUTSCHLAND… Hélas, cette incompréhension ne profite guère au groupe qui signe coup sur coup sur RED RHINO pour le maxi « SEQUENZ » en août 1985, puis sur POLYGRAM (via la subdivision XILE). La confusion est à son comble, mais malgré tout le groupe propose des titres musicalement parfaits : Jahr um jahr, Autumn ou Polarlicht. Une « PEEL SESSION » enregistrée en avril 1985 paraît dans le même temps regroupant ces trois titres et Der wind.

Il faut attendre 1986 pour que X MAL DEUTSCHLAND connaisse à nouveau les faveurs du public, le temps d’un single « MATADOR » décliné en multiples versions. Echevelé et claquant, le titre a un impact direct indéniable ; pourtant la production semble avoir été un peu assujettie à des pressions commerciales… La face B contenant les titres Paho et 4, réconcilie par sa qualité. Le reste de l’année 1986 est nécessaire pour mettre au point le futur album. La maturation plus lente que par le passé va donner lieu à des titres qui se révèlent moins facilement, cachés sous une production sonore somptueuse, mais glaciale et parfois transparente. Ce n’est qu’en 1987 que sort « VIVA » dans une relative indifférence comparée aux précédents disques. Malgré les remarques énoncées précédemment, cet album réserve avec le temps des plaisirs incomparables. Le timbre de la voix enturbanné de mélancolie, la musique parfois océanique, souvent parcourue de vents froids sont à la fois maîtrisés et irrésolus ; l’ensemble tissant un songe digne de Caspard David Friedrich figurant « Les Hauts de Hurlevent ». A la même époque, le maxi « SICKLEMOON » fait perdurer ces atmosphères embrumées avec un inédit somptueux : In Onyx. Mais telle une malédiction, une lente désaffection s’opère dans les rangs du public, perdus au milieu du naufrage de la new-wave devenue sujet de plaisanterie, X MAL DEUTSCHLAND cesse de donner signe de vie.

 

Déliquescences (1988-1990)

Dans l’indifférence générale, le groupe se disloque comme nombre de formations gothique/new-wave. Noyés dans le raz de marée Madchester où acid-house, baggy et indie rock fricotent puérilement, le temps de quelques ectasy sans extases, dans un univers de fête factice, les affres existentialistes des tenants d’une musique de l’âme sont balayés un à un, ou pire absorbés par les enzymes gloutons de la dance…

Avec beaucoup de courage et de pugnacité, Anja Huwe et Wolfgang Ellerbrock reforment X MAL DEUTSCHLAND ; en Allemagne la dark-wave (qui explosera en 1991) est en germe ce qui favorise ce retour inopiné du groupe. Un peu déboussolés, ils s’attellent à l’écriture d’un album qui n’a pas à pâlir face à ses prédécesseurs. Les titres sont efficaces, enlevés et aériens ; par contre le nouveau guitariste manque de sobriété et de tranchant, mais malgré ce changement la cohésion de la nouvelle formation est excellente. Hélas, la production sonore masque les qualités intrinsèques de « DEVILS » de par son uniformité ; l’ensemble étant revêtu d’un son plat typiquement FM, un peu à la manière du « VISION THING » de SISTERS OF MERCY ou de « STOP THE WORLD » de GHOSTDANCE à la même époque. Lors de sa parution, les fanatiques du groupe eurent beaucoup de mal à accepter cet aspect ; mais avec le recul « DEVILS » nous offre la possibilité d’apprécier les derniers échos d’un groupe majeur à la fougue indomptable. La face B du maxi « I’LL BE NEAR YOU » offrant en guise d’adieux une superbe complainte tragique : The girl in the iron mask.

Depuis, nul bruit, nulle rumeur n’ont filtré quant à un éventuel nouveau projet ; disparu sans explications X MAL DEUTSCHLAND réapparaît régulièrement grâce à des compilations telles que « GOTHIC ROCK » (de Mick Mercer) ou encore lors des nombreuses soirées gothiques de France et de Navarre. Les cavalcades rythmiques, la rugosité du chant en allemand de la furie Anja Huwe entraînant dans une même sarabande succubes et incubes d’un soir. Depuis, étrangement aucun groupe n’a suivi les traces de X MAL DEUTSCHLAND (même si parfois DARK ORANGE peut les évoquer), ainsi contrairement aux SISTERS, SIOUXSIE, DEAD CAN DANCE et autres, nulle cohorte de plagiaires stériles ne vient en ternir l’image.

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