STIGMATES
ET MORSURES
Northampton,
fin des années soixante-dix, deux « frères »
taciturnes, David Jay (Jay deviendra J.) et Kevin Haskins se joignent à
deux adolescents fantasques, Daniel Ash et Peter Murphy. Quelques mois plus
tard, le projet BAUHAUS prend pour la première fois une forme musicale :
les premiers titres sont cinglants et hypnotiques, non loin de la violence du
post-punk avec déjà une dimension autre : une théâtralité
héritée du rock décadent des divines créatures glamour
(Bowie, Bolan, voire le early-ROXY MUSIC avec Brian Eno).
Avec
la naissance de labels indépendants structurés grâce au
cataclysme punk (Beggars Banquet, Factory…), les jeunes groupes n’hésitent
plus à proposer leurs démos sans chercher à se fourvoyer
dans les ornières du rock commercial formaté. C’est ainsi
que nombre de cassettes arrivent chez Factory ou Beggars Banquet par l’entremise
de leur magasin londonien. Par une coïncidence étrange, trois des
futurs grands noms de la new-wave, BAUHAUS, MODERN ENGLISH (qui signe avec « Drowning
man » son premier 45 tours) et THE CURE se retrouvent sur le
minuscule label Small Wonder. Pour BAUHAUS le premier pas discographique n’a
rien d’anecdotique puisqu’il s’agit du maxi « BELA
LUGOSI’S DEAD » avec en face B une ébauche de Boys,
un titre court et acéré. Un claquement métronomique sur
un rythme sud-américain transformé au gaz fréon, un jeu
de basse économe et souple, tous les éléments sont en place
pour accueillir la voix de Peter Murphy : ténébreuse et grinçante,
improbable rencontre entre l’une des plus folles incarnations de Lon Chaney
et Belà Biasko (alias Lugosi). Vingt ans plus tard ce drôle de
titre, bancal, elliptique et interminable continue de stupéfier ;
véritable pierre philosophale à l’origine de toute l’alchimie
gothique.
« O
Bela ! Bela the undead ! »
SOUS
UN MASQUE INCANDESCENT
Une
démo circulait avant ce maxi et circule encore à l’aube
de l’année 1980, Pete Kent alors codirecteur du label naissant
4AD (avec Ivo Watts-Russell) signe le groupe sur la fois de ces titres et d’incandescents
concerts. Coup sur coup, le groupe sort trois singles ( « DARK ENTRIES »,
« TERROR COUPLE KILLED COLONEL » et « TELEGRAM
SAM ») et un album (« IN THE FLAT FIELD »).
Le succès imprévisible de BAUHAUS va entériner la rupture
avec 4AD (sorte de laboratoire d’expérimentation pour la maison
mère Beggars Banquet) en effet, selon la clause qui les lie à
Beggars Banquet, ils doivent laisser partir les groupes les plus prometteurs
(ainsi BAUHAUS quittera 4AD pour Beggars Banquet dès la fin 1980). C’est
le début d’une très longue histoire qui n’aura pourtant
duré effectivement que quatre années, de 1979 à 1983.
1981
va être l’année de transition entre le style écorché
vif des débuts et la théâtralité schizophrénique
à venir. L’album « MASK » est le témoin
de ce grand écart, des titres acérés comme Hair of the
dog côtoyant de lentes manifestations incantatoires comme Mask.
ICARE
FOUDROYE
Il
faut attendre l’année 1982 pour découvrir ce qui restera
comme le chef d’œuvre incontesté du groupe : l’album
« THE SKY GONE’S OUT ». Apparemment assagi mais
profondément perturbé, le quatuor y affine son style, ouvrageant
jusqu’à l’excès les structures des morceaux, démantelant
les velléités accessibles du glam-rock (au diable Marc Bolan et
son Telegram sam, c’est Brian Eno et son pernicieux Third uncle
qui sont honorés sur cet album…), invoquant avec une acidité
venimeuse leur audience sur Spirit, proclamant tel un manifeste
intemporel All we ever ever wanted was everything.
Année
excessive : de concerts mémorables en singles indispensables (« LAGARTIJA
NICK », « SEARCHING FOR SATORI »…), de succès
insoupçonnables (« ZIGGY STARDUST » le plus grand
« hit » de leur carrière) en manifestations d’humeur
chez chacun des membres (se soldant par des projets solo, le maxi « TONES
ON TAIL » de Daniel Ash, le 45 tours de David Jay avec le dadaïste
René Halkett, tous deux sur 4AD), BAUHAUS crépite, flamboie et
vacille, zombie lunaire agité de spasmes.
La
confusion de l’année précédente n’aura en rien
appauvri l’inspiration du groupe, le single « SHE’S IN
PARTIES » est certes plus abordable pour les oreilles des journalistes
anglo-saxons, mais BAUHAUS n’a pas encore rendu son dernier soupir. L’album
« BURNING FROM THE INSIDE » souffre certes d’une production
un peu trop claire et aérée, mais des titres comme Burning
from the inside ou Antonin Artaud n’ont rien à envier
aux sombres exactions du passé. L’effritement du groupe devient
malgré tout manifeste et à l’annonce du concert prévu
le 5 juillet 1983 à l’Hammersmith Palais de Londres, beaucoup soupçonnent
d’ors et déjà que cette performance scénique scellera
l’histoire de BAUHAUS. Alors que dix-sept titres ont été
joués, un rappel de six titres contenant les mythiques Bela Lugosi’s
dead, Hair of the dog, Double dare, Boys, In the
flat field et God in an alcove clôture définitivement
la carrière du groupe sur un message sans ambiguïté « Rest
in peace ».
TOMBEAU
ENTROUVERT
Des
années durant, lives semi-officiels, pirates, compilations et « tribute
to » viendront régulièrement réanimer le corps
immortel de BAUHAUS, ces quelques gouttes de sang neuf suffisant à transmettre
l’héritage de générations en générations.
Bénéficiant d’une aura comparable à celle de JOY
DIVISION, ce grand sommeil ne pouvait être fatal à BAUHAUS.
L’annonce,
au printemps 1998, d’une reformation en vue de concerts sera la preuve
la plus flagrante de cet étrange pouvoir, de cette persistance mesmérisante.
« Quelques
concerts et plus si affinités… ». Joie incommensurable pour
ceux qui n’ont jamais eu l’occasion de voir BAUHAUS en concert,
critique a-priori de puristes qui subodorent une réunion à but
essentiellement lucratif. Cet événement intitulé, non sans
humour, « Resurrection tour » n’a de post-mortem
que le nom puisque aucun des quatre membres de BAUHAUS n’a jamais cessé
d’enregistrer des disques. En moins de vingt ans, ils auront sorti (BAUHAUS
compris) près de cent disques (albums, singles…). Musiciens actifs
et vivants, plus que dinosaures survivants ; ceux qui ont suivi les pérégrinations
de ses membres le savent, il ne manquait souvent qu’une chose : des
musiciens sobres et inspirés pour Peter Murphy (qui tout au long de sa
carrière solo a rarement trouvé l’équilibre musical
voguant indistinctement entre pop sombre, ouvragée et pop indigeste),
un chanteur charismatique et envoûtant pour LOVE AND ROCKETS (même
si Daniel Ash et David Jay affirment un style vocal suave original et digne).
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