Entretien privilégié avec Gordon Sharp (aka Cinder), figure culte de la scène underground
depuis ses débuts débuts post-punk avec Freeze, puis Cindytalk, en collaboration avec Cocteau Twins, This Mortal Coil, Pankow, Black Rose… ou dans ses digressions électroniques sous le nom de Bambule (cf: R.W. Fassbinder).

Partie I:

Depuis « Wappinschaw » Cindytalk avait presque disparu, pourquoi? Nous avons entendu parler de vos projets électroniques (Bambule…), mais qu’en est-il de Macbeth?…..?

Cindytalk a toujours existé dans la pénombre, alors « presque disparaître » c’est quelque chose que nous faisons bien… Ce fut un voyage difficile et l’invisibilité est souvent nécessaire si on veut se concentrer sur son travail, sur sa passion.
Très peu de temps après avoir enregistré Wappinschaw, le label avec lequel nous avions un contrat, Midnight Music, a fait faillite. L’actif de la compagnie était entre les mains d’une banque anglaise, qui n’était pas du tout pressée de nous revendre le catalogue ou encore de sortir les albums. Nous avons dû nous battre pendant deux ans pour reprendre à la banque nos droits sur notre travail et en même temps empêcher Cherry Red Records de le racheter dans un lot avec le catalogue de Midnight Music.

Pendant ces deux années (début des années 90), nous avons reformé le groupe, recommencé à écrire et commencé à répéter pour jouer en concert pour la première fois. Il nous était évident que si nous ne pouvions nous concentrer sur l’enregistrement (faute de label et de moyens financiers pour un matériel d’enregistrement décent), nous ferions aussi bien d’essayer de voir ce qu’on valait en tant qu’entité live. Alors en 1993 Paul Middleton (batterie), David Ros(ingénieur) et moi-même avons mis le grappin sur Paul Jones(guitare), Andie Brown (basse), et Mark Stephenson (enregistrement ,sampler et clavier), et nous avons entamé une nouvelle phase de Cindytalk. A l’époque la plupart d’entre nous squattait à Hackney, à l’est de Londres, alors il nous était facile de répéter pour rien à n’importe quel moment. Ca nous a permis de jouer plus librement avec nos idées. En fait j’y repense avec un peu de nostalgie et même si beaucoup de notre travail (en répétitions) n’a pas été entendu par beaucoup de gens (jusqu’à ce que nous fassions des concerts), ce fut l’un des moments les plus créatifs et inspirants qui soit pour moi . A cette époque nous devenions de plus en plus influencés par la scène techno underground. La structure des sons, les fêtes et les sets de Djs avaient un impact considérable sur nous et même si nous n’avons pas immédiatement essayé de faire de la musique techno, ces formes et structures commençaient à s’insinuer de plus en plus dans nos improvisations.
Tout ceci nous a conduit à Bambule et plus loin, à mon travail à Los Angeles avec Darkmatter Soundsystem.

Macbeth était sous différents aspects destiné à devenir un projet ponctuel. En vérité, il était prévu que le titre « help me lift you up » serait un titre pour Cindytalk ( pour le cd compilation volume 5) mais je n’ en était pas très content. La formation du groupe pour le titre était mauvaise. Robin Guthrie et moi-même avons réussi à nous cacher l’un l’autre, ne laissant que le violoncelle de Nadia Lanman en évidence. J’ai décidé de ne pas utiliser le nom de Cindytalk parce que tout le processus manquait d’énergie et de cette étincelle de créativité qui avait toujours fait partie de nos enregistrements. Ca semblait faux. En faisant cela, j’ai flirté avec l’idée de faire plus de chansons comme celle là mais le temps a passé si vite que j’ai laissé de côté cette idée naissante. Il est toujours possible que je retourne à l’idée d’enregistrer des chansons acoustiques mais je ne pense pas me servir à nouveau du nom Macbeth.

Tu  fais  souvent référence à la culture et aux mythes écossais, est-ce que c’est une influence importante  dans ton travail?

  

 

Oui c’est important pour moi. Je suis né et j’ai été élevé en Ecosse, baigné d’histoires, de musique et de chansons de notre histoire.
J’aime la poésie de la culture folklorique écossaise et j’emploie le mot poésie ici, pas au sens littéral de poèmes, bien que je les aime aussi, mais dans un sens plus large pour l’emploi de l’imaginaire , du rythme et de la dynamique. Avec cette passion je n’imagine pas ne pas être inspiré par elle dans mon propre travail. Je pense aussi que le paysage du pays ou de la région dans lequel tu as grandi, affecte qui tu es et ce que tu fais. L’Ecosse est déchirée et désolée mais les gens y sont chaleureux et souvent tristes. Pas sans espoir mais mélancoliques. Le mauvais temps pourrait être une raison à cette mélancolie. mais en fin de compte je crois aussi que nous sommes un petit pays qui a été avalé par un plus gros (l’angleterre), ce qui veut dire que nous avons moins de poids sur notre propre destiné. Je crois que ceci affecte le psychisme du peuple écossais et de temps en temps nous fait traverser des crises identitaires. Ca se mèle à la réticence des anglais à s’identifier aux européens. Les Ecossais se sentent généralement européens et beaucoup d’entre nous se voient d’abord écossais puis européens , court-circuitant ainsi l’appartenance britannique. Néanmoins, par la loi nous sommes britanniques, ce qui fait que le penchant anglais pour les Etats-Unis, et non vers l’europe, est d’autant plus irritant.

« It’s shite being scottish » (“C’est la merde d’être écossais”) , je crois que ce sont les mots d’Irvine Welsh dans Trainspotting. C’est à moitié vrai, l’autre moitié nous donne une raison pour être vivant et pour rester créatif… Alasdair Gray commence souvent ses écrits comme suit: « Work as though you are in the early days of a better nation »( Travaille comme si tu étais dans les premiers jours d’une nation meilleure), je crois que ces deux citations traduisent l’essence de l’être écossais, la désolation d’être un peuple conquis et l’espoir d’un futur meilleur… Ces mêmes éléments s’affrontent dans le travail de Cindytalk.

Quand tu as commencé Cindytalk, quels groupes ou artistes écoutais-tu?

Je me souviens très bien du moment où j’ai décidé de faire exploser The freeze et de créer Cindytalk avec les éclats. C’était fin 81 et The freeze voyageait vers les highlands du nord ouest de l’écosse pour y faire quelques concerts. J’avais fait une cassette compilation spéciale pour le trajet et un autre membre du groupe en avait fait de même. Ces deux cassettes devaient être les étincelles signalant le fin de The freeze et le début de Cindytalk. Je me rappelle être épouvanté parce que sa cassette était remplie de standards très moyens comme donna summer, phil collins, fleetwood mac et les pink floyd alors que la mienne était pleine de titres punks déjantés et post-punks comme The Slits, Subway Sect, the Mekons, Fire Engine, Pop Group, the Fall, Josef K, Clock dva, Scars, P.I.L., Virgin Prunes, Birthday Party etc…. La dichotomie que présentaient les cassettes n’était pas le véritable problème mais la conversation qui a suivi mettait en lumière de sérieuses différences d’attitude et de direction au sein du groupe. Je me suis rendu compte que la vision que j’avais pour le futur du groupe n’était pas partagée par les autres. Alors à cet instant, j’ai commencé à rêver à quelque chose allant plus loin, quelque chose plus profond. Une chose plus agitée(fébrile), plus sombre, plus poétique…. J’ai commencé à rêver de Cindytalk.

En plus des artistes mentionnés plus haut, au début de Cindytalk, j’écoutais aussi Test Department, Einturzende Neubauten, SPK ainsi que la musique avec laquelle j’avais grandi. J’étais dingue de Roxy Music de Brian Eno (avant 1985) et autres artistes du genre. L’album éponyme de Roxy Music suivi de leur second album « For your pleasure », « Human menagerie » et « Psychomodo » par Cockney Rebel, et la période « Ziggy stardust »/ « Alladin sane » de David Bowie m’ont énormément inspiré. Ponctuellement des artistes comme Peter Hammil et Nico. Le punk anglais période 1976-1978 sans oublier la musique folklorique écossaise.
J’ai toujours regardé Cindytalk dans ses débuts comme un groupe post-punk, peut-être la deuxième génération qui a mené à l’industriel et au gothique, même si je n’ai jamais considéré que Cindytalk était gothique.

La faillite de Midnight Music, la difficulté pour trouver les disques distribués par feu World Serpent rendent hélas difficile l’accès à la musique de Cindytalk, heuresement touchedRAW (ton label) ou maintenant Wheesht (sous label italien d’Abraxas) donneront peut-être la possibilité d’éditer le back-catalogue et un nouvel album?

Oui, l’objectif a été de fonder le label touchedRAW pour mettre en mouvement autant que possible l’ancien catalogue et de sortir du matériel déjà existant et nouveau. En plus, j’aimerais aussi sortir d’autres artistes. Nous n’avons pas beaucoup d’argent pour le moment, ça prendra donc du temps.

 


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