Groupe : Leao, Rodrigo & Vox Ensemble
Album : Theatrum
Date : 1999-08-01
Label : Sony
Distributeur :
Format : CD
Durée :

Il
est une contrée dominée par la mer où le chant est prière.
Ou le soleil attise âprement les braises de la tristesse. Ou l’on s’emploie
à apaiser la fureur des éléments en affrontant les flots…
Patrie des pleureuses – inconsolables veuves auxquelles la mer, cruelle amante
a ravi les époux -, le Portugal en son apogée, éclaireur
et phare du monde, se résolut à verser au dieu Neptune un lourd
tribut. De ces équipages entiers partis à l’assaut des continents,
à terme impitoyablement engloutis, et dont les vaisseaux gisent encore
en d’inhospitalières profondeurs, subsistèrent des générations
de femmes esseulées et éplorées, qui, à force de
mêler leur larmoiement à une force vive, le transformèrent
en chant immémorial. Ainsi naquit la tradition du fado, apanage essentiellement
lusitain. Portion infime de la péninsule ibérique au regard de
l’Espagne et pourtant si singulièrement unique, le Portugal s’est
depuis lors fait l’antre, le terrain d’élection de la mélancolie
sous toutes ses formes.

Faisant
fi de toute proximité géographique d’avec sa trépignante
voisine, le Portugal s’en démarque diamétralement ; abritant
une catégorie de musiciens, se plaisant pour la plupart à revisiter
le patrimoine national et ses meurtrissures. Parmi eux les éminents MADREDEUS,
miracle musical en soi, relevant de la synthèse heureuse des apports
du passé, combinés aux langages de notre temps… Initialement
co-fondateur de ces derniers avec Pedro Ayres Magalhaes, guitariste classique
de son état, Rodrigo Leao pourvoyait personnellement à cette infiltration:
saupoudrant de claviers au reste discrets, une musique rigoureusement traditionnelle
et partant, acoustique. Des sonorités troublantes naquirent ainsi, mais
Rodrigo Leao, sans doute secrètement lésé, cessa irrévocablement
de s’impliquer : quelque peu à l’étroit au sein de cette
formation emblématique cantonnant les claviers au second plan, il eut
tôt fait de voler de ses propres ailes… Son projet, loin s’en faut,
n’en est pas à son premier coup d’essai. Très remarqué,
le premier album plébiscité « AVE MUNDI LUMINAR »
était déjà parvenu jusqu’à nous ( fait regrettable :
le remarquable mini album « MYSTERIUM » ne franchit jamais
pour sa part nos frontières… ). Curieusement, la saudade fadiste –
dénomination intraduisible désignant une voluptueuse et térébrante
mélancolie – étreignant chaque note de MADREDEUS, ne transparaît
aucunement dans la musique de Rodrigo Leao, comme on aurait pu s’y attendre.
Non qu’elle soit exempte de nostalgie. Tout au contraire… Elle n’est simplement
plus de la même nature. A cela plusieurs raisons… L’instrumentation
d’une part, ayant congédié les vestiges d’un folklore expressément
lusitain – les guitares à douze cordes – pour s’ouvrir à un classicisme
de chambre ou de boudoir. Les textes enfin, prononcés en latin, et non
pas en portugais, tendent à délocaliser les chants, leur assignant
ce faisant une plus grande universalité… Selon toute vraisemblance,
le titre « THEATRUM » se réfère aux récentes
incursions scénographiques de Rodrigo Leao, à qui il fut confié
voici trois ans, l’accompagnement musical de la pièce de Marguerite Duras
« Moderato Cantabile ». Volontairement allusives car n’intervenant
guère plus qu’en fin de morceau, les parties vocales sur « AVE
MUNDI LUMINAR » nous apparaissaient comme presque secondaires. Ici,
a contrario, les instrumentaux s’amenuisent notablement, concédant tout
aux voix… Certes, la bouleversante Theresa Salgeiro – essence de MADREDEUS,
peut-être l’une des voix les plus pures au monde – n’honore plus
de sa présence exquise le quintette; mais deux sopranos flanquées
d’un ténor, lui succèdent magistralement…A croire toutefois
que la prestation de trois interprètes hors-pairs ne suffisait pas, Rodrigo
Leao ayant réquisitionné pour quelques morceaux le jeune choeur
lisboète Ricercare – In Memorium « O Novo Mundo »
-. Surenchère vocale dont l’insigne beauté hérite d’une
ferveur toute religieuse… O Corridor et ses portes claquant intempestivement,
nous fait quant a lui, emprunter les coursives et diverticules secrets d’un
authentique manoir lusitain, baigné par le vent… Michael Nyman, la
référence obligée se détachant en filigrane sur:
« AVE MUNDI LUMINAR », s’efface ici, devant l’avènement
d’un style tout à fait propre. Fut-il fortuit, un voisinage incluant
STOA et COLLECTION D’ARNELL~ANDREA (période « AU VAL
DES ROSES ») est néanmoins à mentionner – les titres
Nulla Vita et Solitarium -. Seule récrimination . les cordes
synthétiques étroitement accordées à de véritables
archets, prennent quelquefois le pas sur ces derniers : prise de saccades
nerveuses sur Odium, elles sectionnent, plus qu’elles ne soutiennent
les voix conséquemment démembrées. Sans doute aurait-il
été plus pertinent d’exploiter à meilleur escient
les possibilités offertes par la section de violons… Foncièrement,
forcément inadéquate, la période estivale ne convient guère
à la découverte de ces quelques cantiques automnaux; mais ceux
en revanche que cette saison répugne, ne manqueront d’y trouver quelque
réconfort…

Catégories : Chroniques

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