Groupe : Collection d’Arnell-Andrea
Album : Tristesse des Mânes
Date : 2003-03-01
Label : Prikosnovenie
Distributeur :
Format : CD
Durée :

NIE)
CD

Que
ceux qui, l’âme inconsolable, croyaient à jamais ternies ces collections
de clichés sépia à l’entour finement dentelé, balayées
par les desséchantes bouffées d’un sirocco dévastateur,
se rassérènent. La détonnante radicalité de « CIRSE
DES CHAMPS », semble pour l’heure révoquée, tandis que ce
ralliement à la modernité l’ayant disqualifié auprès
des autres albums, passe tel un mauvais rêve. Résurgence de leur
grandeur passée, l’insondable tristesse de ces « mânes »,
enjambe à rebours les années. Nous retrouvons magiquement intacte
la quiète et dolente mélancolie d’antan; comme si nulle secousse
porteuse d’un électrique embrasement, ne l’avait entre-temps innervée
et infectée. Nombre d’entre nous il est vrai, essuyèrent amèrement
la cuisante estocade assénée par ce « CIRSE DES CHAMPS »,
tout sauf champêtre; ayant soulevé un tollé de protestations
incrédules, relayé soit dit en passant par leurs plus fervents
laudateurs. Ce n’est pas tant le principe au reste défendable d’un réformateur
changement de cap, que d’aucuns s’autorisèrent à passionnément
sanctionner – dût-il en passer par le laminoir pop -, que la criante indigence
des compositions, oublieuses de mélancolie. Mais laissons là ce
procès, l’intégrité de scrupuleux artistes tremblant davantage
de se scléroser que d’innover, ne se trouvant en soi contestée.
A l’inverse des navrantes forfaitures d’un HIS NAME IS ALIVE gagné par
l’empâtement ou d’un BEL CANTO affadi, rendu à des sonorités
de bas étage pour avoir cédé à des motivations vilement
mercantiles… En parcourant l’album pour la première fois, l’on retient
superstitieusement son souffle, de peur que l’enchantement reviviscent, ne se
voit à terme contrarié. Par bonheur, il n’en est rien et l’option
entr’aperçue d’un classique épurement, se maintient favorablement.
Glorieuse anthologie couvrant l’âge d?or du groupe, une portion de « TRISTESSE
DES MANES », écrème et recapture soigneusement ce qui fit
de l’inaltérable trilogie initiée par « UN AUTOMNE A LOROY »,
un chapitre essentiel de la production à la française. Gageons
que sans l’avoir passagèrement désapprise, le groupe n’eût
été capable de renouer si grandiosement avec l’esthétique
« fin de siècle » des premiers albums… Après nous avoir
promenés à l’ombre insouciante de marronneraies brunissantes,
les pages d’un herbier griffu à la main, non loin de l’abbaye de Loroy
où boutonne le rosier et nous avoir exposés à de tonnantes
canonnades et pluies d’obus aux côtés de fantassins embusqués,
notre échappée impressionniste s’étend à présent
le long des sinuosités bleues qu’épouse le cours ramifié
de la Loire sur la carte de France, d’estuaires en affluents. Mais ne nous y
trompons pas: le deuil se creuse sous l’eau limpide et notre errance fluviale
empruntant à l’ivre dérivation du Styx, se couvrira de cieux incléments,
avant que ne s’élève le plaintif mugissement de ces mânes
écrouées de l’autre côté de la nuit… Arc-boutée
sur d’anciennes et neuves fondations, l’hybridité apparente du projet
tient à cette contiguïté harmonieusement équitable
– sept pour sept – d’inédits et extraits du répertoire premier,
retraités selon un même mode classique. Apparente, car étrangère
au défaut de disparité, en dépit de cet intermède
de quelque treize années, entrecoupant leur gestation. Outre qu’elles
boivent toutes à la fontaine des pleurs et se tiennent fièrement
à l’épreuve du temps – critères ayant présidé
au choix des reprises -, le dénominateur commun à l’ensemble des
pièces, réside en leur accession au rang de musiques de chambre;
resserrant plus indéfectiblement encore leur alliance passéiste.
Et quand le bien-fondé d’une parcelle de reprises nous échapperait,
nous ne pourrions qu’applaudir à leur exemplaire fusionnement au sein
du disque… Mais à supposer qu’elles y parviennent, en quoi ces réinterprétations
divergent-elles de leurs primes versions? Pour l’essentiel, en quelques menues
variantes affectant le placement de la voix, qu’un empiétement sur l’instrument
hasarde timidement; ainsi qu’une révision substantielle accordée
aux sonorités. Outre le puriste remisage des claviers à « clefs
métalliques » – longtemps poinçon du groupe – au profit du
seul piano et le renfort bienvenu d’un violon alto venu grossir le pupitre des
cordes, les quelques interventions de Franz Torres-Quevedo au chant, entendu
depuis au sein de BLEEDING LIKE MINE (formation cousine de BLACK TAPE FOR A
BLUE GIRL), tendent à sensiblement excentrer les présentes relectures
de leurs modèles premiers. Matière à chicane – mais n’est-ce
pas là, le propre de la critique que de chercher querelle à l’immunité
des chefs-d’oeuvre? -: les scolaires relectures des Chants de Peine et
des Temples élevés se paraphrasent en revanche complaisamment,
reprenant point par point la structure préexistante aux originaux. Bénin
reproche au reste valable pour la septaine de morceaux choisis: le peu d’audace
inhérent à l’uniformité de leur sélection, qu’une
trop forte dominante néoclassique menace de rendre prévisible.
Aussi se prend-on à paradoxalement regretter, qu’aucune de ces variations
au demeurant accomplies, ne se soit intéressée à la refonte
en profondeur de titres initialement assortis de boîtes à rythmes
et tenus en lisière par l’intrus électrique – abondants sur « VILLERS-AUX-VENTS »,
notamment -, qu’un dégraissage ou raffinage classiques aurait présentés
sous un jour nouveau et propicement anoblis; au point de les rendre méconnaissables.
Réitérer en somme mais sur le mode inversé, l’exercice
-réussi – de cette subversion déflagrante d’Une Attente Douleur,
parangon néoclassique colonisé par les guitares; ayant roussi
le faîte des paisibles « MARRONNIERS ». D’autres cependant, en
ressortent grandis. Pièce maîtresse de ce bouquet de reprises,
Un Parc, une Tonnelle dépasse en sublimité l’insigne original,
par sa transcendante mixité de voix; embuant l’atmosphère de larmes
suspendues… Les sept inédits pour leur part, trouvent nos giennois
à leur apogée créatrice. Au vu de la pénétrante
subjugation qu’ils exercent, rien n’eût été plus souhaitable
qu’un album dominé tout du long par la nouveauté… Cerné
d’un chevrotement emprunté qu’on ne lui connaissait pas jusqu’alors,
la voix de Chloé St Liphard, fantomatique à souhait, se drape
des filandres de l’automne frissonnant. Son timbre changeant que l’on méjugerait
vieillissant au regard des arabesques de « VILLERS-AUX-VENTS » et des
aigus vrillants de « CIRSE DES CHAMPS », noie ses trémolos d’un
éplorement non feint; comme autant d’offrandes de pleurs à l’astre
déclinant de l’arrière-saison. Tant et si bien que vient à
passer la silhouette efflanquée de Barbara, sur Un Automne Restant,
où la Mort, danseuse chevronnée que l’on sait, nous fait tournoyer
au pas ternaire d’une antique valse, éveillant un à un les spectres
grelottants de ces chers disparus, endimanchés de tulle noire et de jabots
en lambeaux; froufroutant par delà les sépulcres blêmissants.
Première dans l’histoire du groupe, cette Source du Jour en forme
d’aubade, découvrant la facette inopinément masculine de COLLECTION
apprenant la langue des barytons; devant laquelle sa muse et gardienne s’efface
humblement. On en oublierait presque qu’un instrumental de tout premier ordre
se glisse parmi ces polyphonies mordorées, le puissamment descriptif
Loire et Léthé. S’y reflète à l’envi chacun
des menus obstacles ridant et fendant le miroitement inapaisé des eaux;
de ces affleurements pierreux aux bouquets d’arbres surnageants et dont se joue
folâtrement l’immutabilité des rapides, artistement rendus par
le grincement distordu de l’archet et les attaques répétées
d’un piano virevoltant. Mais toujours, après s’être guillerettement
ébroué, le duo d’instruments replonge de concert dans les replis
d’un bercement rêveur à l’expirante langueur; comme pour rappeler
que la rivière, parfaite allégorie des destinées humaines,
draine et inlassablement charrie nos vaines tribulations; jusqu’à cette
fatale embouchure à laquelle nous ne saurions survivre. Frêle éclaircie
sitôt rembrunie par un cortège nouveau d’alluvions noirs – L’Ombre
Tilleul
-. Parvenus au terme de cette psychopompe odyssée, au cours
de laquelle transmigrèrent ces mânes à l’inexpiable tourment,
le sentiment d’avoir approché au plus près du cruel ensevelissement
des mémoires nous empoigne, tandis que de ses bras interminables, la
Loire nous rejette au loin… Honteusement délaissé depuis les
ombreux « MARRONNIERS », le jeu pianistique de Jean-Christophe d’Arnell,
se redéploie enfin dans toute sa mortuaire majesté, recouvrant
une vigueur nouvelle, en particulier lors du final digne d’un impromptu de Schubert;
où les enfilades d’accords avancent à pas feutrés dans
la pénombre. A l’instar de ce violoncelliste prodige, tristement sous-employé,
depuis que l’accapareuse guitare lui ravit la vedette. Libérée
de toutes entraves, notre tisseuse de lierre se livre à quelques hardiesses
vocales sur ce même Tristesse des Mânes, expérience
sans précédent de la part d’une interprète dont on croyait
tout connaître; se surprenant à théâtralement déclamer
à mesure que le verbe se charge en sentences voilées; cependant
que sa comparse de toujours, Carine Crieg, lui apprête un cocon de fourmillants
chuchotis. Chuchotis des mânes craintives assemblées autour de
l’ange noir. Ici parèdre en retrait, ailleurs étincelante muse,
cette dernière bien qu’invariablement reléguée à
l’arrière-plan, se prête sans déplaisir au jeu de la figuration,
dont elle s’acquitte avec talent; enrichissant d’une tierce voix le quintette
et cosignant une poignée de titres mémorables… Que dire des
textes de monsieur D’Arnell sans craindre de sombrer dans un adulateur panégyrique!
D’un geste ciseleur, flattant lyriquement les appas de la nature, ils peignent
un lointain mythologique; immémoriale olympe aux feux de rouilles, hantée
de dryades que l’effeuillaison des années achève de statufier.
Authentiques odelettes tutoyant le symbolisme marmoréen d’un Verlaine
ou d’un Valéry, ses mots se dispenseraient crânement de tout accompagnement
sonore, tant l’éclat et la musicalité de leurs rimes parlent d’eux-mêmes.
C’est du reste chose faite, avec ces quelques stances égarées
au hasard des livrets et ayant dédaigné le vibrant hommage des
sons, telles ces gemmes farouches refusant de se désincruster pour se
laisser enchâsser dans de l’argent… Peintre paysagiste de son état,
aux antipodes des canons en vigueur, Nicolas Méchériki voit sa
palette nouvellement réquisitionnée, après avoir agrémenté
de l’une de ses toiles, la jaquette bigarrée de « CIRSE DES CHAMPS ».
Mais tandis qu’il lorgnait flagramment du côté de la facture grossière
d’un Renoir pour ce dernier, le voici succédant à Whistler, réputé
pour la taciturnité de ses nocturnes aux terres détrempées;
ne pouvant mieux s’accorder au vague à l’âme baudelairien de « TRISTESSE
DES MANES ». Trônant souverainement dans l’embrasure des quelques
vestibules d’une gentilhommière endormie, cette galerie de portraits
du groupe, d’un indatable noir et blanc, renforce l’impression de vaporeuse
immatérialité dégagée par le disque; que ne saurait
contester ce mobilier aux drapés affaissés, embaumant la naphtaline
et le bois ciré… Rendons grâces à la pépinière
PRIKOSNOVENIE, toujours munificente, d’avoir recueilli en son sein l’inflétrissable
collection – au reste, quel autre label aurait décemment pu y prétendre?
– et sachons-lui gré en la circonstance de nous abreuver avec une rare
constance, de riants et fleurissants trésors, débusqués
par je ne sais quel heureux hasard aux quatre coins de notre hémisphère.
Il y a fort à parier que le label aux magiques effleurements, ne soit
pas totalement étranger au formidable rebond artistique qu’ils connaissent
enfin. Prions que ce réconciliatoire retour aux sources ne se réduise
à une simple parenthèse dans leur itinéraire musical, quoiqu’à
cet égard, les allégations catégoriques de Jean-Christophe
D’Arnell, revendiquant son droit à la versatilité, tendent hélas
à décourager nos espérances. Mais qu’importe, l’heure est
à la délectation.


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